Aujourd’hui, j’ai
décidé de dévier un petit peu du sujet principal pour vous parler d’une
expérience récente qui m’a particulièrement marquée. Étant donné que la visée de
ce blog est de partager mes expériences culturelles (en Argentine cependant),
le texte suivant se justifie en lui-même.
Il y a de cela quelques semaines, j'ai été envoyé dans la réserve autochtone de Mashteuiatsh, une
communauté Innu (Montagnais), pour y vivre un stage de médecine en communauté.
Le but du stage était de me sensibiliser à la pratique en communauté, ainsi
qu’aux problèmes sociaux affectant la santé des autochtones dans les réserves.
Sans les affiches, pourriez-vous faire la différence? |
C’est donc mardi
le 10 avril (et non lundi car c’était une journée fériée), que je me suis mis
en route vers la communauté située en berge du Lac-St-Jean, à 10 minutes de
Roberval. C’est avec surprise que j’ai constaté à quel point la communauté
ressemblait à n’importe quel village typique du Lac-St-Jean. Je me suis alors
rendu à l’évidence que j’étais parti en direction du stage avec certaines idées
préconçues à propos des réserves indiennes. Heureusement, j’ai été agréablement
soulagé de ne pas avoir été dépaysé à mon arrivée. En effet, les maisons sont
très jolies et tout ce qu’il y a de plus normal. Bien sûr, comme je le décrirai
plus tard, cette jolie façade cache toutefois beaucoup de problèmes
sociaux : pauvreté, abus et dépendances, qui sont plus présents dans les
réserves autochtones qu’ailleurs au Québec.
Avant de
m’aventurer plus loin dans la description de mon expérience, je crois qu’il est
utile à ce moment de vous faire une petite mise point sur l’histoire des
amérindiens et sur leur situation actuelle en vertu de la Loi sur les Indiens. Les
informations contenues dans cette section proviennent d’un petit ouvrage publié
par la Commission des droits de la personne, intitulé « Mythes et
réalités sur les peuples autochtones ». J’en recommande la lecture à
quiconque souhaite se départir de ses stéréotypes et idées préconçues à propos
des amérindiens.
Tout commence avec
Jacques Cartier en 1534 (Ah! Ce sacré J.C.!). J.C. est donc débarqué sur cette
nouvelle terre, y a planté une croix, assurant ainsi la souveraineté de la
France sur ces terres et l’assimilation de ses natifs. FAUX. En fait, la
relation entre les Français et les Amérindiens s’est plutôt orientée autour du
commerce des fourrures. De ce fait, ils étaient des ‘alliés’ et non des ‘sujets
du roi’.
Bien sûr, on se
rappelle tous de notre histoire de secondaire 4 et de la façon dont
l’Angleterre nous a clanché sur les plaines en 1759 et remporté la victoire en
1760. Suite à cela, la Proclamation
Royale, première constitution du pays, fut instaurée en 1763. Les
autochtones étaient bien sûr mentionnés dans celle-ci, et on leur reconnaissait
un statut de groupe politiquement distinct, ainsi que la nécessité pour
l’Angleterre d’obtenir le consentement des autochtones pour la colonisation des
terres autochtones via la signature de traités. De 1781 à 1850, les traités se
multiplièrent afin de préparer le terrain pour la Confédération de 1867. Bien sûr, chacun de ces traités a été lu et
ratifié par TOUS les amérindiens éparpillés sur l’énorme territoire du Canada!
(voyez-y ici du sarcasme) Donc, si on en résume l’essentiel, les autochtones
n’ont jamais été assimilés ni par les français, ni par les anglais et ils n’ont
jamais étés dépossédés de leurs terres. On peut ainsi comprendre les bases de
la plupart des revendications territoriales. En 1876 survient l’une des pires
atteinte aux droits des amérindiens : La Loi sur les Indiens. Sous cette loi, avec l’objectif inavoué
d’assimiler les indiens, ceux-ci deviennent en quelque sorte des
« citoyens mineurs sous la tutelle du gouvernement fédéral ». Je ne
repasserai pas tout ce que cette loi inclus, mais un point très important y est
la perte du droit de propriété comme on le connait. N’ayant pas droit à la
propriété, les biens sur la réserve sont donc non saisissables, ce qui rend presque
impossible l’accès au crédit à la consommation et à la carte de crédit, peut
importe le revenu et la solvabilité. Cette mesure limitera donc grandement la
croissance économique dans les réserves. Finalement, il ne faut pas oublier la
sombre histoire des pensionnats, où toute une génération d’amérindiens y perdit
sa dignité, sa langue et sa culture.
Monuments représentant les 4 saisons selon la culture Innu |
Retour à 2012. Nous
sommes donc en face d’une nation ayant perdu son territoire, ses droits et sa
culture originale de façon insidieuse et sournoise. L’accès difficile au crédit
peut ainsi aider à expliquer le taux de chômage et le salaire moyen nettement
sous la moyenne canadienne, et la perte de la culture est un facteur souvent
mentionné lorsque l’on tente d’expliquer les abus de substances et les abus
psychologiques et physiques. Je tiens aussi à mentionner que la plupart des
caractéristiques démographiques, sociales et de santé publique des réserves
autochtones sont très similaires aux caractéristiques des milieux défavorisés.
Il importe donc ici de se débarrasser des stéréotypes usuels qui racontent que
les indiens sont violents, drogués, insouciants et paresseux.
Lors de mon stage
de deux semaines, j’ai pu pleinement observer les effets pervers de l’histoire
tumultueuse des autochtones. En effet, j’ai vu beaucoup de patients aux prises
d’un problème d’alcool ou de consommation de drogues. Les grossesses à l’âge de
14 ans ne sont pas chose rare non plus. En fait, les relations sexuelles en
plus bas âge sont si fréquentes que le vaccin Gardasil (contre le VPH, maladie
transmisse sexuellement prédisposant au cancer de l’utérus) est administré 3
ans plus tôt à l’école. J’ai même pu rencontrer une femme ayant été battu par
son mari. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et son visage montrait
plusieurs plaies et un œil au beurre noir. Pourtant, cette jeune femme, à cause
de la peur, de l’amour, ou de la tradition, je ne pourrais dire, restait tout
de même avec cet homme violent, malgré le danger pour son intégrité physique et
mentale.
Soumis au secret
professionnel, il est cependant interdit aux infirmières, médecins ou étudiants
de porter plainte à la police pour les méfaits du mari. C’est très frustrant et
vraiment éprouvant de se retrouver impuissant devant une telle situation. C’est
comme regarder un film. On est contraint à un rôle de spectateur.
Le soir, pour me
changer les idées suite à cette expérience éprouvante, j’ai fait du jogging.
L’activité physique et l’air pur sont les meilleurs moyens que je connais pour
aérer l’esprit. Dans les rues, mis à part le paysage féérique du Lac-St-Jean et
du petit village, j’ai pu observer un autre problème médical troublant touchant
la communauté : l’obésité. Ceci est lié à un « gène économe »
que les amérindiens auraient développé au cours de l’époque pré-coloniale, où
seuls ceux ayant accumulé assez de réserves pouvaient survivre à l’hiver
dévastateur. L’arrivée de la civilisation moderne, de la technologie et de la
consommation facile a donc eu un effet dévastateur sur le corps de beaucoup
d’amérindiens, conçu pour économiser et stocker l’énergie, sous forme de
graisse. On le sait tous, l’obésité est lié à plusieurs problèmes de
santé : athérosclérose, maladies coronariennes, arthrose, maux de dos,
dépression, diabète, etc. Ce dernier, le diabète, est un problème de santé
publique majeur chez les indiens. Encore plus malheureux, très peu des
autochtones atteints contrôlent leur glycémie de manière optimale, les mettant
à risque de plusieurs complications morbides : infections, neuropathie,
insuffisance rénale, plaies chroniques, etc. Ce manque de compliance peut
s’expliquer par la vision holistique (où la santé est determinée par une
interaction entre le corps et l’esprit) que les autochtones ont de la santé,
concept qui est difficilement applicable dans la médecine moderne. Cette vision
holistique les pousse aussi souvent à utiliser des médecines alternatives, qui
parfois peuvent comporter des effets secondaires très néfastes sur la santé si
utilisées sans vigilance.
Malgré tout, il
est réjouissant de constater que la communauté de Mashteuiatsh travaille très
dur pour renverser la vapeur et améliorer les conditions de ses habitants. Des
initiatives comme le programme IMPACT, permettant le suivi des enfants de
familles à risque de problèmes de développement, ont été mis sur pied. Ce
programme vise les enfants de parents de moins de 21 ans, qui consomment des
drogues ou qui ont un revenu familial sous le seuil de la pauvreté. Ces enfants
sont suivis régulièrement dès leur naissance par l’infirmière qui s’assure de
leur bon développement et conseille ensuite les parents sur l’éducation et le
développement mental de l’enfant. Une telle initiative permet ainsi un suivi et
un accompagnement personnalisé des enfants dans le besoin afin d’assurer qu’ils
aient toutes les fondations nécessaires pour réussir pleinement leur
développement. J’ai aussi pu assister à un cours de langue Innue, le Nehlueun,
qui permet à ceux qui veulent reconnecter à leur culture via la langue
traditionnelle de le faire. Contrairement au français, à l’anglais ou à
l’espagnol, le Nehlueun est une langue imagée. Les mots sont donc formés d’une
agglomération de mots plus simples pour donner le sens voulu. Par exemple,
« tshinishkumitin », qui
signifie « merci », veux littéralement dire « Je te donne une
outarde ». L’outarde, « nishk », est reconnue comme un gage de
remerciement chez les Innus.
Et c’est sur ce remerciement
que je conclus ce (relativement) court texte. J’aurais pu en écrire beaucoup
plus; l’histoire des amérindiens est très riche et très intéressante et la
relation entre celle-ci et les différents facteurs ayant influencés sur leur
situation socio-économiques ont été à peine abordés. En bref, j’espère vous
avoir aidé à comprendre que tous ces stéréotypes que vous possédiez peut-être
envers les amérindiens ne sont que le résultat d’une histoire mouvementée ayant
mené à la perte de plusieurs droits fondamentaux chez les amérindiens, menant à
une situation socio-économique peu enviable, ainsi qu’à leur perte d’identité,
essentielle à la prospérité et la fierté d’un peuple.
Tshinishkumitin. Merci à tous.