mercredi 9 mai 2012

Mashteuiatsh


Aujourd’hui, j’ai décidé de dévier un petit peu du sujet principal pour vous parler d’une expérience récente qui m’a particulièrement marquée. Étant donné que la visée de ce blog est de partager mes expériences culturelles (en Argentine cependant), le texte suivant se justifie en lui-même.

Il y a de cela quelques semaines, j'ai été envoyé dans la réserve autochtone de Mashteuiatsh, une communauté Innu (Montagnais), pour y vivre un stage de médecine en communauté. Le but du stage était de me sensibiliser à la pratique en communauté, ainsi qu’aux problèmes sociaux affectant la santé des autochtones dans les réserves.

Sans les affiches, pourriez-vous faire la différence?
C’est donc mardi le 10 avril (et non lundi car c’était une journée fériée), que je me suis mis en route vers la communauté située en berge du Lac-St-Jean, à 10 minutes de Roberval. C’est avec surprise que j’ai constaté à quel point la communauté ressemblait à n’importe quel village typique du Lac-St-Jean. Je me suis alors rendu à l’évidence que j’étais parti en direction du stage avec certaines idées préconçues à propos des réserves indiennes. Heureusement, j’ai été agréablement soulagé de ne pas avoir été dépaysé à mon arrivée. En effet, les maisons sont très jolies et tout ce qu’il y a de plus normal. Bien sûr, comme je le décrirai plus tard, cette jolie façade cache toutefois beaucoup de problèmes sociaux : pauvreté, abus et dépendances, qui sont plus présents dans les réserves autochtones qu’ailleurs au Québec.

Avant de m’aventurer plus loin dans la description de mon expérience, je crois qu’il est utile à ce moment de vous faire une petite mise point sur l’histoire des amérindiens et sur leur situation actuelle en vertu de la Loi sur les Indiens. Les informations contenues dans cette section proviennent d’un petit ouvrage publié par la Commission des droits de la personne, intitulé «  Mythes et réalités sur les peuples autochtones ». J’en recommande la lecture à quiconque souhaite se départir de ses stéréotypes et idées préconçues à propos des amérindiens.

Tout commence avec Jacques Cartier en 1534 (Ah! Ce sacré J.C.!). J.C. est donc débarqué sur cette nouvelle terre, y a planté une croix, assurant ainsi la souveraineté de la France sur ces terres et l’assimilation de ses natifs. FAUX. En fait, la relation entre les Français et les Amérindiens s’est plutôt orientée autour du commerce des fourrures. De ce fait, ils étaient des ‘alliés’ et non des ‘sujets du roi’.
Bien sûr, on se rappelle tous de notre histoire de secondaire 4 et de la façon dont l’Angleterre nous a clanché sur les plaines en 1759 et remporté la victoire en 1760. Suite à cela, la Proclamation Royale, première constitution du pays, fut instaurée en 1763. Les autochtones étaient bien sûr mentionnés dans celle-ci, et on leur reconnaissait un statut de groupe politiquement distinct, ainsi que la nécessité pour l’Angleterre d’obtenir le consentement des autochtones pour la colonisation des terres autochtones via la signature de traités. De 1781 à 1850, les traités se multiplièrent afin de préparer le terrain pour la Confédération de 1867. Bien sûr, chacun de ces traités a été lu et ratifié par TOUS les amérindiens éparpillés sur l’énorme territoire du Canada! (voyez-y ici du sarcasme) Donc, si on en résume l’essentiel, les autochtones n’ont jamais été assimilés ni par les français, ni par les anglais et ils n’ont jamais étés dépossédés de leurs terres. On peut ainsi comprendre les bases de la plupart des revendications territoriales. En 1876 survient l’une des pires atteinte aux droits des amérindiens : La Loi sur les Indiens. Sous cette loi, avec l’objectif inavoué d’assimiler les indiens, ceux-ci deviennent en quelque sorte des « citoyens mineurs sous la tutelle du gouvernement fédéral ». Je ne repasserai pas tout ce que cette loi inclus, mais un point très important y est la perte du droit de propriété comme on le connait. N’ayant pas droit à la propriété, les biens sur la réserve sont donc non saisissables, ce qui rend presque impossible l’accès au crédit à la consommation et à la carte de crédit, peut importe le revenu et la solvabilité. Cette mesure limitera donc grandement la croissance économique dans les réserves. Finalement, il ne faut pas oublier la sombre histoire des pensionnats, où toute une génération d’amérindiens y perdit sa dignité, sa langue et sa culture.

Monuments représentant les 4 saisons selon la culture Innu
Retour à 2012. Nous sommes donc en face d’une nation ayant perdu son territoire, ses droits et sa culture originale de façon insidieuse et sournoise. L’accès difficile au crédit peut ainsi aider à expliquer le taux de chômage et le salaire moyen nettement sous la moyenne canadienne, et la perte de la culture est un facteur souvent mentionné lorsque l’on tente d’expliquer les abus de substances et les abus psychologiques et physiques. Je tiens aussi à mentionner que la plupart des caractéristiques démographiques, sociales et de santé publique des réserves autochtones sont très similaires aux caractéristiques des milieux défavorisés. Il importe donc ici de se débarrasser des stéréotypes usuels qui racontent que les indiens sont violents, drogués, insouciants et paresseux.

Lors de mon stage de deux semaines, j’ai pu pleinement observer les effets pervers de l’histoire tumultueuse des autochtones. En effet, j’ai vu beaucoup de patients aux prises d’un problème d’alcool ou de consommation de drogues. Les grossesses à l’âge de 14 ans ne sont pas chose rare non plus. En fait, les relations sexuelles en plus bas âge sont si fréquentes que le vaccin Gardasil (contre le VPH, maladie transmisse sexuellement prédisposant au cancer de l’utérus) est administré 3 ans plus tôt à l’école. J’ai même pu rencontrer une femme ayant été battu par son mari. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et son visage montrait plusieurs plaies et un œil au beurre noir. Pourtant, cette jeune femme, à cause de la peur, de l’amour, ou de la tradition, je ne pourrais dire, restait tout de même avec cet homme violent, malgré le danger pour son intégrité physique et mentale.
Soumis au secret professionnel, il est cependant interdit aux infirmières, médecins ou étudiants de porter plainte à la police pour les méfaits du mari. C’est très frustrant et vraiment éprouvant de se retrouver impuissant devant une telle situation. C’est comme regarder un film. On est contraint à un rôle de spectateur.

Le soir, pour me changer les idées suite à cette expérience éprouvante, j’ai fait du jogging. L’activité physique et l’air pur sont les meilleurs moyens que je connais pour aérer l’esprit. Dans les rues, mis à part le paysage féérique du Lac-St-Jean et du petit village, j’ai pu observer un autre problème médical troublant touchant la communauté : l’obésité. Ceci est lié à un « gène économe » que les amérindiens auraient développé au cours de l’époque pré-coloniale, où seuls ceux ayant accumulé assez de réserves pouvaient survivre à l’hiver dévastateur. L’arrivée de la civilisation moderne, de la technologie et de la consommation facile a donc eu un effet dévastateur sur le corps de beaucoup d’amérindiens, conçu pour économiser et stocker l’énergie, sous forme de graisse. On le sait tous, l’obésité est lié à plusieurs problèmes de santé : athérosclérose, maladies coronariennes, arthrose, maux de dos, dépression, diabète, etc. Ce dernier, le diabète, est un problème de santé publique majeur chez les indiens. Encore plus malheureux, très peu des autochtones atteints contrôlent leur glycémie de manière optimale, les mettant à risque de plusieurs complications morbides : infections, neuropathie, insuffisance rénale, plaies chroniques, etc. Ce manque de compliance peut s’expliquer par la vision holistique (où la santé est determinée par une interaction entre le corps et l’esprit) que les autochtones ont de la santé, concept qui est difficilement applicable dans la médecine moderne. Cette vision holistique les pousse aussi souvent à utiliser des médecines alternatives, qui parfois peuvent comporter des effets secondaires très néfastes sur la santé si utilisées sans vigilance.

Malgré tout, il est réjouissant de constater que la communauté de Mashteuiatsh travaille très dur pour renverser la vapeur et améliorer les conditions de ses habitants. Des initiatives comme le programme IMPACT, permettant le suivi des enfants de familles à risque de problèmes de développement, ont été mis sur pied. Ce programme vise les enfants de parents de moins de 21 ans, qui consomment des drogues ou qui ont un revenu familial sous le seuil de la pauvreté. Ces enfants sont suivis régulièrement dès leur naissance par l’infirmière qui s’assure de leur bon développement et conseille ensuite les parents sur l’éducation et le développement mental de l’enfant. Une telle initiative permet ainsi un suivi et un accompagnement personnalisé des enfants dans le besoin afin d’assurer qu’ils aient toutes les fondations nécessaires pour réussir pleinement leur développement. J’ai aussi pu assister à un cours de langue Innue, le Nehlueun, qui permet à ceux qui veulent reconnecter à leur culture via la langue traditionnelle de le faire. Contrairement au français, à l’anglais ou à l’espagnol, le Nehlueun est une langue imagée. Les mots sont donc formés d’une agglomération de mots plus simples pour donner le sens voulu. Par exemple, « tshinishkumitin », qui signifie « merci », veux littéralement dire « Je te donne une outarde ». L’outarde, « nishk », est reconnue comme un gage de remerciement chez les Innus.

Et c’est sur ce remerciement que je conclus ce (relativement) court texte. J’aurais pu en écrire beaucoup plus; l’histoire des amérindiens est très riche et très intéressante et la relation entre celle-ci et les différents facteurs ayant influencés sur leur situation socio-économiques ont été à peine abordés. En bref, j’espère vous avoir aidé à comprendre que tous ces stéréotypes que vous possédiez peut-être envers les amérindiens ne sont que le résultat d’une histoire mouvementée ayant mené à la perte de plusieurs droits fondamentaux chez les amérindiens, menant à une situation socio-économique peu enviable, ainsi qu’à leur perte d’identité, essentielle à la prospérité et la fierté d’un peuple.

Tshinishkumitin. Merci à tous.